Les statistiques officielles et les mesures de la pauvreté ne rendent pas pleinement compte des causes de la marginalisation et de la manière dont elles se croisent et interagissent. Le Programme de développement durable à l’horizon 2030 catalyse un changement dans la façon dont le monde pense les données et l'utilisation de « sources de données non officielles » pour mieux refléter les besoins des plus marginalisés.

L’engagement du Programme 2030 de ne laisser personne de côté et de répondre d’abord aux besoins des « plus éloignés » reconnaît que les efforts antérieurs pour réduire la pauvreté et mettre fin à la marginalisation n’ont pas réussi à atteindre certains des individus, des communautés et des pays qui en ont le plus besoin. Alors que la pauvreté a été réduite dans nombre de pays, les plus marginalisés n’en ont tiré que peu ou pas d’avantages. L’une des raisons est que les statistiques officielles et les mesures de la pauvreté ne rendent pas pleinement compte des causes de la marginalisation et de la manière dont elles se recoupent et interagissent. Le Programme 2030 catalyse un changement dans la façon dont le monde envisage les données pour mieux rendre compte des besoins des plus marginalisés.

Reconnaissant que de meilleures données seront nécessaires pour atteindre les Objectifs de développement durable (ODD) sans laisser personne de côté, la Division de la Statistique des Nations Unies a créé le Forum mondial des données sur le développement durable. Le Forum est destiné à être une plate-forme pour une meilleure coopération entre les acteurs des données aux niveaux national et international afin de mobiliser des données pour le développement durable et de combler les lacunes en matière de données. Lors de sa première session en 2017, le Forum des données a adopté le Plan d’action mondial du Cap concernant les données du développement durable, qui appelle à l’intégration de données nouvelles et innovantes générées en dehors du système statistique officiel – y compris les données administratives et les données géospatiales – dans les statistiques officielles. Le Plan encourage également l’édification de partenariats multipartites impliquant les instituts nationaux de statistique (INS), les gouvernements, les universités, la société civile, le secteur privé et d’autres parties prenantes impliquées dans la production et l’utilisation de données pour le développement durable.

Lors de discussions ultérieures, les participants au Forum mondiale des données ont de plus en plus reconnu que les INS doivent collaborer avec l’ensemble de l’écosystème des données – c’est-à-dire, toutes les parties prenantes impliquées dans la production et l’utilisation des données, y compris les communautés, le gouvernement, les entreprises et la société civile – pour produire des données adaptées à la tâche de ne laisser personne de côté. Les participants ont souligné que les sources de données innovantes et les données axées sur les citoyens sont des outils essentiels pour « combler les lacunes en matière de données sur l’état et les besoins des personnes par revenu, sexe, âge, race, origine ethnique, statut migratoire, handicap, emplacement géographique et autres caractéristiques ». La discussion est également passée d’une focalisation sur « l’intégration » de sources de données non officielles dans les systèmes statistiques, chose qui nécessite que d’autres parties prenantes des données appliquent les normes et procédures utilisées par les INS, à une focalisation sur la complémentarité des données officielles avec des données provenant de sources alternatives utilisant leurs normes respectives.

Le concept de données alternatives englobe donc toutes les données collectées par des parties prenantes autres que le INS en utilisant un minimum de normes pour assurer la confidentialité, la transparence et l’accessibilité. Cette définition large permet de s’appuyer sur une grande variété de sources de données potentiellement utiles, dont plusieurs apparaissent comme particulièrement importantes pour l’objectif de ne laisser personne de côté.

  • Les données générées par les citoyens, où les individus concernés participent à l’élaboration de cadres et à la collecte de données et décident de l’utilisation des données qui les décrivent. Les données générées par les citoyens sont axées sur un objectif et fournissent des informations importantes sur les facteurs de marginalisation affectant certains groupes ou localités.
  • Les données sur les droits humains, qui comprennent des données sur les affaires relatives aux droits humains et des données sur la révision des lois. Ces données aident à comprendre où la marginalisation est la conséquence du racisme systémique ou de l’incapacité à protéger les droits des individus et des groupes
  • Les données géospatiales, qui, combinées à d’autres statistiques, peuvent identifier où vivent les groupes marginalisés et la façon dont la géographie et les facteurs spécifiques locaux influencent la marginalisation. Les données géospatiales peuvent surmonter les défis de la collecte de données découlant du fait que les personnes marginalisées vivent souvent dans des établissements informels, n’ont pas d’adresse permanente ou sont réticentes à partager leurs données par crainte d’une marginalisation supplémentaire.
  • Les données administratives, qui sont collectées par les agences gouvernementales et les organisations non gouvernementales au service des groupes marginalisés dans le cadre des opérations de routine. Bien qu’elles ne soient pas destinées à des fins statistiques, ces données peuvent être transformées en ensembles de données qui peuvent combler des lacunes de données spécifiques dans les sources de données officielles.
  • Les données du secteur privé collectées par les entreprises dans le cadre du signalement des impacts environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Les données ESG peuvent permettre aux entreprises d’évaluer leur impact sur les groupes marginalisés à travers leurs activités ainsi que leurs employés, mais l’accès du public aux données est souvent limité et des bases communes de mesure d’impact qui permettraient une utilisation plus large des données ESG sont encore en cours d’élaboration.

Ce sont là quelques exemples d’un domaine en croissance rapide de sources de données alternatives et d’utilisations innovantes des données existantes pour ne laisser personne de côté. En plus des données alternatives qui peuvent être utilisées pour compléter les sources existantes, le Programme 2030 catalyse également une discussion sur la manière dont les données doivent être utilisées. Traditionnellement, les INS ou les institutions équivalentes agissent en tant que principaux gestionnaires de données pour un pays, responsables de la collecte et de la publication de données de haute qualité respectant les normes convenues pour protéger la confidentialité et la sécurité des données. Cela signifie que les décisions concernant les données collectées, la manière dont elles sont désagrégées et, en fin de compte, la manière dont elles sont utilisées sont centralisées de manière descendante.

Ce modèle fait l’objet d’un examen minutieux, car de plus en plus de preuves montrent que les données peuvent être utilisées beaucoup plus efficacement si les gens ont leur mot à dire dans la collecte et l’utilisation des données qui les décrivent. La participation aux décisions sur les données collectées et la manière dont elles sont désagrégées et communiquées garantit que les données reflètent l’expérience, les valeurs et les perspectives des groupes marginalisés et que la collecte de données profite en fin de compte à ceux qui ont accepté de partager des données personelles. Il existe plusieurs initiatives qui soutiennent cette transformation de la gouvernance des données sous différents angles, y compris, par exemple, les principes d’une approche des données fondée sur les droits humains, la définition de valeurs communes pour les données ou les bonnes pratiques pour une utilisation responsable des données.

La dernière édition du Forum mondial des Nations Unies sur les données, qui s’est tenue à Berne en Suisse fin 2021, a également capturé ces tendances dans sa déclaration finale, le Pacte de Berne sur les données pour les ODD. Le Pacte appelle tous les membres de l’écosystème des données à développer des partenariats de données et exhorte à investir dans l’alphabétisation en matière de données et la confiance dans les données pour mieux comprendre le monde à travers les données et ne laisser personne de côté. Les orateurs du Forum ont fait écho à ces ambitions en notant que « les données, c’est le pouvoir » et que nous « avons entre les mains de donner ce pouvoir au peuple ».


A propos de l’auteur

Stefan Jungcurt dirige les travaux de l’IIDD sur les indicateurs et les données pour le suivi des ODD. Il a terminé son doctorat sur l’interaction institutionnelle dans la gouvernance environnementale mondiale à l’Université Humboldt de Berlin.