Par Élise Brown-Dussault
Lorsqu’une personne vous demande d’écrire une courte biographie, une lettre de motivation ou de vous présenter à une conférence, ce qu’elle veut en fait, c’est expliquer pourquoi vous méritez d’être entendu.
Par exemple, je pourrais dire : Bonjour, je m’appelle Elise. Je travaille pour la branche X du gouvernement. J’ai été formée dans les écoles Y. Je dirige une association environnementale à but non lucratif. Cela me donne l’autorité de commenter les objectifs de développement durable (ODD) comme l’action climatique et la vie sur terre.
Nous savons par nature qu’il existe une valeur marchande pour certains qualificatifs. Votre origine ethnique, votre âge, votre niveau d’éducation, votre emploi, votre genre et votre pays d’origine peuvent tous jouer un rôle dans la valorisation — ou non — de vos idées. Lorsqu’une personne possède un doctorat en sociologie et travaille pour Centraide Canada, elle est qualifiée pour parler de l’ODD2 Faim zéro. Lorsque quelqu’un est député ou PDG, nous lui accordons automatiquement du crédit.
Nous pouvons reconnaître que ces qualificatifs proviennent de puits de privilèges coloniaux et désavantagent de manière inhérente une foule de Canadiens marginalisés, ceux qui font partie de tout groupe sujet à la discrimination en raison de la race, du genre, de la classe économique, de l’immigration, du logement, etc. (Le terme « marginalisé » est lui-même intrinsèquement dévalorisant et devrait être remplacé. Je l’utilise dans ce blogue dans sa terminologie actuelle, mais imaginez si je mettais des guillemets à chaque utilisation.)
Pourtant, nombre d’entre nous sont réticents à abandonner leurs propres qualificatifs coloniaux de peur de l’illusion d’offrir une contribution inférieure.
Lors de sa reconnaissance du territoire à Together|Ensemble 2022, la conférence nationale du Canada sur le suivi des progrès des ODD, l’aîné autochtone Jean Becker a été très clair : la méritocratie a échoué dans la réconciliation et dans la préservation des environnements sociaux et naturels que nous essayons tous de préserver.
Je me demande si cela ne tient pas en partie à la manière méritocratique dont nous choisissons les décideurs dans ce pays. Nous écoutons souvent la voix qui dit : « J’ai étudié le caribou de la toundra pendant vingt ans », mais trop rarement celle qui dit : « Je chasse le caribou pour survivre. » Ou bien, nous entendons et portons attention à « Je travaille avec des survivantes de violence domestique » et non à « Je suis une femme et une mère aimante d’enfants dont l’avenir m’inquiète. »
Dans notre promesse moderne d’inclusion, nous nous efforçons d’écouter d’autres voix, mais en l’absence de qualificatifs coloniaux, il nous faut autre chose pour valoriser les voix.
Dans l’excellent atelier Réimaginer l’engagement « Leave No One Behind » de l’Agenda 2030 de Together|Ensemble 2022, trois intervenants, tous pionniers dans leur organisation ou institution respective, ont parlé des obstacles à la sécurité et à l’intégrité qu’ils rencontrent pour faire entendre leur voix en tant que militants marginalisés des ODD.
Ils ont expliqué que si un Canadien marginalisé veut participer à la conversation, il doit prouver son oppression. Ils doivent revivre leurs expériences traumatisantes du racisme, du sexisme, de la violence et de la pauvreté. Si la personne n’en a pas, ou si elle ne souhaite pas partager des détails explicites, son opinion marginalisée se déprécie. Le prix est une vulnérabilité qui n’est jamais demandée aux Canadiens non marginalisés.
Si je parle devant d’autres personnes, il y a très peu de choses que je dois justifier à mon auditoire. Personne ne demandera, mais d’où venez-vous vraiment? Personne ne me fera parler au nom de millions d’autres personnes en demandant (même si c’est une question qui mérite d’être posée) Comment faire en sorte que les Blancs se soucient de l’eau potable et de l’assainissement dans les communautés plus pauvres? Pourtant, c’est quelque chose que nous demandons constamment aux Canadiens marginalisés — de prouver leur place, et de représenter tous les autres qui sont « comme eux ». Ce faisant, nous dévalorisons et passons à côté d’un grand nombre d’informations essentielles sur les 17 ODD.
Se présenter en utilisant des qualificatifs coloniaux, c’est continuer à être complice d’un système de triage qui place certaines voix loin devant d’autres. Si nous partons du principe que toutes nos voix ont de la valeur lorsqu’il s’agit des problèmes socio-environnementaux du Canada, comment nous présenterions-nous les uns aux autres?
A propos de l’auteur
Élise Brown-Dussault est une jeune Canadienne qui vit dans le magnifique territoire du Yukon. Elle porte en elle les dons de sa famille, comme l’amour du beurre d’arachides, de la couleur bleue et de la météorologie de ses grands-parents maternels, et l’appréciation du camping, du soda à l’orange et de la composition musicale de ses grands-parents paternels. Elle a un chien adorable et deux papiers de deux établissements postsecondaires.