De jeunes environnementaux prennent le temps de découvrir le rivière Cheakamus.

Par Chloë Fraser–

 

Le soleil brille sur nos épaules alors que nous courons vers la rivière Cheakamus, riant dans nos T-shirts trop grands et nos maillots de bain poussiéreux. C’est le troisième jour du sommet et on s’est déjà posé toutes les questions faciles, comme « C’est quoi ton nom? » ou bien « Qu’est-ce qui t’amène ici? » Nous avons atteint le point où nous parlons de nos peurs et d’appartenance, de leadership et de rémunération. On crie lorsque l’eau glacée atteint nos hanches, nos mentons. On s’éclabousse les uns les autres et, pendant un moment ou deux, on s’amuse à agir notre âge.

Le Sommet des jeunes leaders environnementaux s’est tenu à Squamish, en Colombie-Britannique, sur le territoire non cédé, ancestral et traditionnel des Sḵwx̱wú7mesh Úxwumixw (peuples Squamish). Organisé par The Starfish, le sommet a rassemblé 75 jeunes leaders provenant de tout le Canada pour cinq jours d’apprentissage partagé sur l’action et la justice climatique.

Toute la semaine, nous nous sommes réunis pour des tables rondes et des panels d’experts. Nous avons participé à des activités en nature dirigées par des gardiens du savoir autochtones et appris à connaître l’ortie et la baie de saumon, la racine de réglisse et comment, si on suspend des branches de pruche dans Átl’ḵa7tsem (la Baie d’Howe) pendant la saison du hareng, ces petits poissons argentés pondront leurs œufs sur les rameaux. Les branches sont retirées plusieurs semaines plus tard, bombées d’œufs transparents au goût d’agrumes. Ces hareng avaient disparu de Átl’ḵa7tsem dans les années 1970, et depuis, leur retour annuel dans ces eaux reste une bonne surprise.

Les participants au sommet ont pris part à une promenade en forêt avec des gardiens du savoir autochtones.

Dans notre salle de conférence, les participants discutent de l’impact durable – comment accéder au financement, comment se reposer, comment développer ses initiatives de manière stratégique. Quelqu’un soulève la question de l’urgence, et nous y réfléchissons ensemble : Comment établir des relations solides sans les rendre artificielles ? Que signifie bâtir un projet à la mesure de la confiance de nos partenaires ? Où pouvons-nous ralentir sans perdre notre élan ? Ces questions doivent guider nos progrès dans la réalisation de l’objectif de développement durable numéro 17, à savoir les partenariats, y compris la réconciliation avec les peuples autochtones.

Au cours d’un atelier animé par Warren Hooley, facilitateur Syilx, nous explorons la boîte à outils émotionnelle et l’humilité nécessaires pour s’engager dans la décolonisation. Hooley présente une tension naturelle entre les valeurs occidentales et les modes d’existence traditionnels que nous avons rejetés. Il nous invite à nous demander où nous nous situons sur cette échelle, et à quel point nous avons appris à être productifs, indépendants, et pressés par le temps. Une leçon importante : avoir un impact peut aussi signifier apprendre à exister différemment dans les espaces professionnels et sociaux. 

Lorsqu’il est temps pour moi d’animer une table ronde, je demande quels sont les récits sur le climat qu’on peut se permettre d’écarter. Immédiatement, mes pairs énumèrent le contenu auquel ils ont été exposés depuis l’école primaire : le greenwashing et l’antagonisme, les rapports remplis de jargon, la culpabilisation et la polarisation. Il est clair pour nous que les syndicats du pétrole et du gaz ont utilisé ces discours pour alimenter le doute sur les enjeux climatiques, et pourtant nous devons nous engager auprès de partenaires dans le secteur privé. Lorsque je regarde mes interlocuteurs dans les yeux, je constate la même lassitude et la même résignation enjouée avec lesquelles j’ai appris à travailler. On reste affamés pour de meilleures histoires.

Les lauréats du prix "Top 25 des environnementalistes de moins de 25 ans" par The Starfish ont animé des tables rondes lors du sommet.

Tout au long du sommet, nous écoutons de jeunes professionnels épuisés parler de la précarité des postes subventionnés, du poids de la représentation des personnes vulnérables et du travail émotionnel que représente naviguer les politiques lorsqu’elles nous semblent être personnelles.

Qu’est-ce qui rend l’action climatique personnelle pour toi ? Je pose cette question tous les jours à l’heure des repas. Pour la plupart des participants, s’engager n’était pas une décision mais plutôt l’aboutissement inévitable de mille petits souvenirs. Un participant raconte que son amour du jardinage, transmis par sa lignée paternelle, est devenu un moyen de tisser un lien avec son père.  Quelqu’un parle du respect de ses parents pour la nature, et de son bénévolat à l’aquarium local lorsqu’elle était adolescente. Les catastrophes naturelles, les enfants, le prix des logements, la perte de l’eau et des hiboux – il n’y a jamais pas eu de lien entre ces choses.

Entouré de dizaines de jeunes leaders remarquables, je me suis rappelée pourquoi agir, c’est accepter d’être un petit maillon de la chaîne. Prendre action signifie perpétuer l’héritage de sa famille et de ses amis, et penser souvent à ceux qui suivront dans nos pas. Malgré tout le brouhaha causé par l’isolement social des jeunes, beaucoup d’entre nous ont appris à ne pas prendre pour acquis notre communauté. Nous avons appris à rejoindre un collectif et à reconstruire ce sentiment d’appartenance commune – un repas, un feu de camp ou une baignade dans une rivière glacée à la fois.