Par Neha Chollangi
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Le Canada s’est classé 21e sur 165 pays en matière de progrès dans le rapport 2021 du Sustainable Development Solutions Network (SDSN). Mais le tableau de bord montrant les progrès du Canada sur les 17 objectifs de développement durable (ODD) est rempli de jaune, d’orange et de rouge, là où le vert indiquerait une progression.
La qualité de l’éducation est le seul objectif atteint par le Canada et qu’il maintient. Par ailleurs, le rapport indique qu’il reste des défis importants à relever en matière de faim « zéro », de santé et bien-être, d’égalité des genres et de vie sous-marine. En outre, la réalisation des objectifs en matière de production et de consommation responsables, d’action climatique, de vie sur terre et de partenariats est loin d’être atteinte. En bref, le Canada est très en retard dans ses objectifs de développement durable.
« En soi, c’est alarmant », déclare Michelle Baldwin, conseillère principale auprès de Fondations communautaires du Canada, à propos des nombreux défis qui restent à relever pour le pays. « En réalité, il est probable que la COVID-19 ait entravé les progrès que nous avons pu constater avant la pandémie et continuera de le faire. Il y a encore beaucoup de travail à accomplir. »
Selon Mme Baldwin, si la COVID-19 a révélé l’importance des ODD en exposant davantage des crises telles que le racisme anti-Autochtones et anti-Noirs, l’inégalité entre les genres et l’urgence climatique, la pandémie est toujours à l’avant-plan.
« La charge cognitive que cela a eue sur la société a ralenti l’attention portée à l’agenda 2030 et pourtant, le besoin urgent de transition et de transformation sociétale se poursuit et s’est accéléré », déclare Mme Baldwin.
Le mythe de l’exceptionnalisme canadien
Toutefois, la pandémie n’est pas le seul facteur qui ralentit la progression du Canada vers les ODD. Chúk Odenigbo, directeur fondateur de Future Ancestors Services, explique que la tendance du Canada à détourner l’attention de ses problèmes entrave profondément son développement.
Présumer que des questions comme le nationalisme blanc sont des problèmes américains, ou que la pauvreté n’est pas un enjeu majeur au Canada est à la fois ignorant et improductif. Bien que la pandémie ait fait apparaître de nombreux problèmes sociaux que les Canadiens ne peuvent plus ignorer, comme le souligne Mme Baldwin, cette habitude de détournement est toujours présente.
Selon M. Odenigbo, le Canada dispose d’une « très bonne équipe de relations publiques » — composée de gouvernements et d’organisations de développement — qui « rend essentiellement invisibles les problèmes; nous avons la fâcheuse habitude de rendre la pauvreté invisible et de faire notre possible pour nous assurer que nous n’ayons pas de “vrais problèmes”. »
Ainsi, lorsqu’il s’agit de travailler à la réalisation des ODD, le Canada finit par se concentrer sur les efforts de développement international plutôt que sur son propre développement national, explique M. Odenigbo.
« Beaucoup d’organisations qui se concentrent vraiment sur les ODD et qui les recentrent, comme l’Alberta Council of Global Cooperation, ont tendance à regarder vers l’extérieur (en dehors du Canada) et à penser aux façons dont le Canada peut aider d’autres pays à atteindre leurs objectifs de développement durable. Cependant, elles se méfient de l’introspection. »
Déplacer l’action climatique au niveau provincial
En ce qui concerne le changement climatique, le Canada est devenu un exemple des effets dévastateurs des incendies de forêt, des inondations et des vagues de chaleur. Et pourtant, selon le rapport 2021 du SDSN, des défis majeurs sont encore présents en matière d’action climatique avec une « stagnation des progrès ».
- Odenigbo explique que le manque de renforcement positif dans le domaine de l’action climatique pourrait être dû au fait que les problèmes sont très différents pour chaque province. Bien que le Canada ait travaillé sur cette question au niveau fédéral, il n’existe pas de solution unique.
Le Canada étant une vaste masse continentale, les problèmes environnementaux du Nouveau-Brunswick sont très différents de ceux de la Colombie-Britannique ou du Nunavut.
Même s’il existe certaines initiatives au sein des provinces pour prendre en charge le développement durable (notamment la Colombie-Britannique avec son BC Council For International Cooperation), les ODD sont principalement de juridiction nationale.
« Les ODD des Nations Unies étaient des cadres conçus pour être suffisamment larges pour que chaque pays puisse les adopter et les adapter à sa propre situation », explique M. Odenigbo. « Est-ce sensé pour nous d’essayer de les adapter aux circonstances canadiennes ou est-ce plus logique pour chaque province de prendre les ODD et de les mouler à leurs circonstances uniques?
Je pense que le fait que nous essayions d’agir vers l’atteinte des ODD au niveau pancanadien peut nuire au Canada, alors qu’ils ont été conçus précisément pour être mis en œuvre de manière aussi locale que possible. »
Revoir le cadre « Leave no one behind »
L’une des promesses fondamentales de l’Agenda 2030 des Nations Unies est de « ne laisser personne de côté » — de transformer les inégalités systémiques profondément ancrées en définissant les besoins des groupes dignes d’équité et en mettant en œuvre des changements dans les politiques. Bien que la COVID-19 ait, au cours des deux dernières années, contribué à mettre en évidence ces inégalités, le Canada a encore un long chemin à parcourir pour faire de cette promesse une réalité.
Katelynne Herchak, directrice pour la gouvernance autochtone de VIDEA, affirme que le Canada n’a pas vraiment adopté le cadre « Leave no one behind ».
« Pourquoi avons-nous encore des avis à l’effet de faire bouillir l’eau? Pourquoi les violences sexistes sont-elles toujours prédominantes dans les communautés autochtones? Pourquoi existe-t-il un fossé éducatif entre les personnes vivant dans les réserves et celles vivant hors des réserves? Ces réalités ne doivent plus se produire. Elles ne devraient pas exister et elles doivent être corrigées », déclare Mme Herchak.
L’adoption d’un cadre de décolonisation est essentielle, selon Mme Herchak.
« Les peuples autochtones ont toujours été des experts en matière de développement international, de durabilité et de gestion de l’environnement. Le mode de développement autochtone comportait des cérémonies, des chants, des routes commerciales et des relations mutuellement bénéfiques. Puis, la perspective occidentale du développement a amené le colonialisme. Comment pouvons-nous alors nous éloigner de cette dynamique? »
« La première étape pour évoluer vers la décolonisation est d’impliquer plus d’Autochtones dans les organisations », dit Mme Herchak, ajoutant que VIDEA s’en assure par le biais de leur programme international de stages pour les jeunes autochtones en embauchant des Autochtones de tout le Canada, notamment des jeunes. Mme Herchak affirme également que l’inclusion est « répandue dans toute l’organisation », de la direction jusqu’au personnel, et qu’elle influence leur façon de travailler.
La voie vers la résilience
Selon Mme Herchak, un obstacle mental majeur au passage à la durabilité est que, bien souvent, les dirigeants ne savent pas par où commencer lorsqu’il s’agit de s’attaquer aux ODD. Ils ne savent pas comment changer leurs systèmes et ils sont à l’aise dans leur façon de fonctionner. Le fait que le Canada ait pris du retard dans la réalisation de ces objectifs peut rendre la tâche encore plus ardue. Alors pourquoi devrions-nous continuer à travailler pour les atteindre?
« Nous n’avons pas le choix », déclare Mme Herchak, ajoutant que « ce sont des objectifs réalisables et que des gens accomplissent déjà ce travail. Il y a tellement de personnes qui sont passionnées par les ODD et par leurs projets communautaires. »
Si quelqu’un travaille sur l’éducation au sein de sa communauté, il se penche déjà sur l’ODD numéro quatre, ajoute Mme Herchak. « Ce sont des choses qui sont déjà en cours, donc amplifier ce qui se passe au sein des communautés peut inspirer plus de gens et faire en sorte que notre avenir semble moins désastreux. »
Il peut être plus facile que l’on pense de procéder à ces changements et à ces collaborations. Mme Baldwin mentionne le début de la pandémie comme exemple, lorsque les individus et les organisations ont rapidement procédé à des changements par nécessité. « Dans le domaine de la philanthropie notamment, la COVID-19 a prouvé que les bailleurs de fonds peuvent changer des modes de fonctionnement culturels vieux de plusieurs décennies — qu’il s’agisse de fournir un financement sans restriction, de supprimer les exigences en matière de rapports ou d’octroyer des subventions participatives. »
De même, la réalisation des ODD d’une façon significative nécessite une collaboration intersectorielle et un changement de la dynamique du pouvoir.
« Les ODD offrent une vision partagée pour que les secteurs travaillent collectivement à leur réalisation et tirent parti de leurs atouts et de leurs ressources dans un but commun. Nous devons dépasser le statu quo et les approches conventionnelles pour parvenir à des changements véritablement transformateurs. Cela nécessitera la participation de tous les secteurs. »