Le 15 janvier 2024, un petit groupe de leaders philanthropiques s’est réuni pour discuter d’une stratégie de collaboration pour la transformation de la philanthropie au Canada, dans l’optique d’une intégration mondiale. Cette discussion était l’une des nombreuses conversations axées sur la transformation qui se déroulent actuellement dans la communauté philanthropique.
Ces dernières années, le paysage philanthropique s’est considérablement transformé, suscitant de profondes réflexions au sein de la communauté sur le leadership, la responsabilisation et la collaboration. En effet, l’époque où la philanthropie consistait uniquement à répandre la joie et l’espoir est révolue. Les leaders dans ce domaine sont désormais confrontés à de nouveaux risques et à de nouvelles complexités. Ils doivent donc faire preuve d’authenticité et avoir le courage de s’exprimer, en particulier dans le contexte des problèmes graves et intriqués qui constituent la polycrise d’aujourd’hui. Les leaders philanthropiques qui n’expriment pas leur soutien aux mouvements de solidarité ancrés dans la libération des groupes marginalisés risquent de se détacher et de s’aliéner des communautés qu’ils visent à servir. Plus que jamais, les leaders philanthropiques doivent redéfinir leur identité et leur modèle opérationnel, ce qui les oblige à faire preuve d’introspection pour rester pertinents dans un monde exigeant en constante évolution. Pourtant, il est important de reconnaître que le fait de s’attaquer à des systèmes complexes et de s’efforcer d’obtenir des changements significatifs peut être fatigant et épuisant pour de nombreux acteurs du secteur, en particulier pour les leaders racialisés ou historiquement sous-représentés. En ces temps difficiles, un véritable leadership exige de bâtir une communauté par l’intermédiaire d’alliances et de réciprocité, saisissant ainsi une possibilité de transformation et de changement des systèmes. Cela peut prendre la forme d’un apprentissage partagé entre pairs dans des cercles de confiance et d’une expérimentation collaborative de nouvelles méthodes audacieuses qui impliquent de modifier les mentalités et les structures de pouvoir. Pour ce faire, il faut se détacher des rôles, des ressources et des modèles mentaux que l’on avait auparavant.
Réinventer l’influence et la responsabilisation
Au cours de la réunion, les leaders ont convenu que l’influence de la philanthropie ne se mesure pas uniquement aux contributions financières. L’accent est également mis de plus en plus sur le capital social, culturel et technologique et sur la responsabilité fondamentale de la philanthropie de promouvoir le bien public. Bien que la prise de décision philanthropique ait traditionnellement tourné autour des donateurs et des groupes d’intérêt, le secteur est en train d’évoluer pour donner la priorité aux besoins des communautés touchées plutôt qu’aux intérêts des donateurs. En réponse à certains des défis posés par les fonds orientés par les donateurs, les leaders ont proposé un large éventail de changements structurels, notamment des réformes de la gouvernance qui privilégient la diversité de la représentation au sein des conseils et l’engagement des parties prenantes, des coalitions des donateurs et des conseils pour faire avancer les programmes philanthropiques, et des solutions pour la responsabilisation des organismes. Lors de la mise en œuvre de ces changements, on pourrait se poser la question suivante : « Qui a la responsabilité de tenir les organismes philanthropiques responsables de leur incapacité à générer de la valeur dans leurs communautés? ». Pour trouver la bonne réponse à cette question, il faut perturber les structures de pouvoir et les hiérarchies existantes au sein des organismes philanthropiques, y compris les conversations sur les privilèges et les injustices historiques, tout en introduisant de nouvelles voix et perspectives.
En outre, les organismes pourraient renforcer leur responsabilisation en axant leurs modèles opérationnels sur le principe de la septième génération, un enseignement largement utilisé dans la gouvernance autochtone. Ce principe préconise une prise de décision qui tient compte des implications sociales pour les sept générations à venir, offrant ainsi un cadre d’orientation pour les efforts de transformation de la philanthropie. En accordant la priorité à l’impact à long terme, les entités philanthropiques sont bien outillées pour construire un avenir plus équitable et durable. Cela nécessite une responsabilisation intergénérationnelle et un engagement renouvelé en faveur d’une action fondée sur des valeurs, à l’instar de la Déclaration d’action de la communauté philanthropique.
Le pouvoir de la collaboration intersectorielle
Les leaders ont également souligné la nécessité pour la philanthropie de tirer parti de l’infrastructure relationnelle afin de mobiliser des capitaux et des ressources auprès de diverses parties prenantes. En effet, les rassemblements intersectoriels entre le gouvernement, le secteur privé et les communautés offrent une voie prometteuse pour l’action collective et l’innovation. En même temps, les cloisonnements enracinés et le désir de s’approprier les projets ou les stratégies constituent des obstacles importants à une collaboration horizontale efficace. Les leaders philanthropiques doivent être ouverts à l’expérimentation et au jeu, tout en renonçant à leur besoin de reconnaissance individuelle. Il s’agit là d’étapes essentielles pour favoriser des partenariats constructifs dans lesquels la philanthropie peut maximiser son impact et relever des défis sociaux complexes.
La gestion des politiques sociétales de changement
Alors que le paysage politique mondial subit des bouleversements majeurs, caractérisés par la montée des mouvements anti-droits et la prolifération de problèmes mondiaux complexes tels que les conflits en Russie-Ukraine et en Israël-Palestine, la philanthropie est confrontée au défi de gérer des politiques sociétales de changement. Cela l’incite à redéfinir son rôle dans la promotion de la démocratie, l’un des aspects essentiels de ce parcours de transformation étant le soutien au journalisme indépendant. Des investissements dans des initiatives et des politiques qui défendent l’indépendance éditoriale, qui promeuvent le pluralisme des médias et qui protègent la liberté de la presse sont primordiaux pour favoriser un engagement civique éclairé et lutter contre la més/désinformation. Les organismes philanthropiques doivent transcender les frontières politiques, en choisissant des parcours de leadership qui explorent sans crainte les héritages historiques, les crises contemporaines et les scénarios futurs afin de bâtir une société plus résiliente. De nos jours, il n’est pas possible de jouer un rôle de leadership dans le secteur sans reconnaître l’intersection et l’influence dans le domaine de la démocratie… et sans être capable de laisser la place à des vérités multiples.
La lettre de Sadia Zaman, directrice générale de la Fondation Inspirit, datée de novembre 2023, est un exemple récent de leadership philanthropique. Elle met en lumière la réponse de la fondation face au génocide qui se déroule à Gaza. Qu’il s’agisse de convoquer des réunions d’urgence de leur conseil ou de favoriser des dialogues inclusifs « qui refusent la binarité d’un conflit juif-musulman, qui font référence aux expériences autochtones, qui établissent des liens avec la manière dont les hommes afro-américains étaient systématiquement déshumanisés par l’esclavage », la fondation poursuit son travail visant à modifier le pouvoir narratif. En outre, afin de soutenir un journalisme équitable, la Fondation Inspirit s’emploie à créer un fonds d’urgence pour les journalistes travaillant dans des environnements hostiles et a publié le document révolutionnaire Financer le journalisme : guide pratique pour la philanthropie canadienne. Je vous recommande vivement de lire la lettre complète de Sadia Zaman (en anglais seulement) pour découvrir des informations précieuses sur le leadership authentique dans les périodes difficiles.
Un regard sur l’avenir
Alors que le secteur philanthropique continue d’être aux prises avec des systèmes complexes et même des tensions dans un paysage politique en mutation, j’espère que le partage de ces idées servira de catalyseur pour tracer la voie vers un avenir plus juste, équitable et durable. La « renaissance » et, par conséquent, le besoin de transformation que connaissent actuellement de nombreux leaders peuvent sembler nouveaux pour certains, mais pour les communautés sous-représentées qui défendent depuis longtemps leurs propres besoins, il s’agit simplement de la poursuite de la « même rengaine ». En effet, leurs efforts inlassables ont longtemps cherché la reconnaissance et le changement, même lorsque le discours plus large n’était pas à l’écoute de leurs voix. Ce sont peut-être les leaders qui doivent rattraper leur retard, alors que nous nous efforçons d’intégrer systématiquement et assidûment les principes d’équité, de diversité et d’inclusion dans les modèles philanthropiques. En tant que jeune actrice du changement et fondatrice d’un organisme communautaire sans but lucratif voué aux arts, je reconnais de tout cœur l’importance vitale de la création conjointe d’un espace de renouvellement et de régénération aux côtés des communautés que nous servons. Les organismes philanthropiques à la recherche d’une transformation collective doivent mettre en œuvre ces processus de collaboration pour véritablement ouvrir de nouvelles voies dans la construction d’un monde meilleur et plus équitable.